Dans mon travail il y a le geste, la matière, et la relation qui lie l’un à l’autre.
J’ai eu d’emblée du plaisir à tailler. Ce geste de la taille, douce en gravure, directe en sculpture, est comme un réflexe naturel inscrit dans ma main. Au fil des ans, ce geste est devenu plus sobre, plus économe ; il se forme lentement ; il est radical. Comme un mot longuement mûri peut être décisif lorsqu’il est prononcé.
La matière m’interroge. Quand je regarde longtemps une pierre, j’y vois une histoire, des rencontres, des aléas, des effets de ricochet, une personnalité façonnée au fil du temps. Un temps qui demeure très lent. Je cherche à faire à cette pierre une place dans le présent, dans un dialogue avec d’autres matériaux plus éphémères, parfois plus immatériels. Un dialogue qui porterait sur ce qui rapproche plutôt que ce que sur ce qui éloigne. Un dialogue qui inscrit la suite d’une histoire, dans le présent, au-delà de la mémoire.
Je suis dans une économie douce, une « parcimonie », l’obsession du « juste assez ». Plutôt que la sobriété qui sonne comme une morale austère, je cherche une forme de beauté dans la rareté de la matière. J’organise cette rareté, cette anti-abondance. Il y a une jouissance dans l’observation de la beauté qui se niche dans le « si peu ». La patience et la vivacité en sont le corolaire. Il faut savoir attendre le moment et lorsqu’il est venu, le saisir sans complexe.
Matériau, énergie, oeuvre du temps…
Je m’intéresse à l’énergie que conserve une matière travaillée par la main de l’homme ou par les éléments (l’eau, le feu…). Travaillant dans des lieux collectifs, je me suis très vite penchée pour contempler les éclats de marbre ou de granit, les copeaux de bois qui jonchaient le sol après le travail du sculpteur. Ces fragments me paraissaient tout autant chargés de l’énergie du geste que la matière que celui-ci avait choisi de conserver dans sa forme. Ils étaient comme des témoins du vide qui se créait en relation avec la forme créée.
J’ai entrepris, tout d’abord de retenir certains de ces fragments en route vers le rebus et de les conserver « jusqu’à nouvel ordre ». Puis, après un temps de gestation parfois assez long, de les rassembler, usant moi-même d’un geste dont l’énergie puisait à cette source. Je ne cherchais pas à inventer mais plutôt à réactiver, « réhabiliter » cette énergie toujours présente.
Une première série « les coquilles » est née d’éclats de granit. Puis une deuxième « les borries », d’éclats de marbre ». Ce sont ensuite les copeaux de bois qui ont façonné une grande pièce « le temps d’un geste ».
« Au fil de l’eau » , « Ardente » sont nées de cette trajectoire. Pour cette dernière, les fragments de bois de placage ont échoué dans mon atelier suite à un événement artistique collectif où ce matériau servait de fil rouge à un ensemble de proposition. « Déchirés » « déformés », mélangés dans leurs essences, je les ai abordé tels quels et me suis mise en recherche…
Au fil des ans, je me suis mise à envisager mes sculptures comme des pièces « détachées » que j’attache ensuite à un environnement. … Ainsi, je retravaille au fil du temps sans cesse mes productions. Ces pièces sont comme des mots, et chaque installation successive est un texte. Chaque texte successif façonne les mots qu’il contient. La succession des textes dans le temps long précise doucement leur définition. Mais parfois il use certains mots, les épuise et ceux-ci disparaissent. Parfois, ils tombent dans l’oubli pendant des années, dans une réserve de l’atelier. Et je les retrouve, les recompose, les transforme… C’est sans fin. C’est une suite d’itération chacune conservant la mémoire et parfois les stigmates des expériences précédentes. Au fond, la vie énergétique de la matière initiée avant que je m’en saisisse se poursuit. Elle passe par mes mains sans se figer. L’histoire d’UOAN témoigne de cela.
Un jour, une goutte d’eau chargée de peinture est tombée sur une feuille, dans un coin du bureau. 2 ou 3 jours plus tard, un paysage géologique était apparu là, sur le coin de cette feuille. J’ai commencer à répendre ces traces, à former l’eau dans sa propre contenance., à la limite de celle-ci. Et j’ai collecté ces paysages sédimentés au fil du temps. Puis j’ai un jour repris ces terres vierges pour y tracer à nouveau une ligne pionnière. Des univers se dessinent, comme des strates de mémoire. La trace est vivante ; un palimpseste dénudé, visible jusqu’à l’os. J’aime voir la forme ou la matière apparaître lentement. Prendre patience. Et puis soudain, elle est là. On ne l’attendait pas forcément. On s’occupait à de petites choses. De petits gestes. On ajoutait ; on retirait ; on changeait d’outil. Et soudain, on bascule de l’absence à la présence. Entre les deux, il y a le pressentiment.